François Nourissier n’avait que 29 ans lorsqu’il écrivit, à propos de l’Académie Goncourt, qu’il présidera quarante ans plus tard: "Ce manège, où vivent vieux les chevaux de reprise, attire parfois les pur-sang: Colette, Giono."
Dans un manège, on tourne en rond et il est vrai que nous devons résister à la tentation de croire que la littérature a un sens giratoire. Devant le nombre et la diversité des romans en course pour le Goncourt, ce sont nos têtes qui tournent. Mais, à un moment, il faut bien se décider et jouer gagnant celui ou celle que chacun espère être le bon numéro. Colette et Giono n’ont pas reçu le Goncourt. Ni Nourissier d’ailleurs. Mauvaises pioches, bonnes pioches. Chaque année, on espère ne pas se tromper.
En tout cas, nous n’imiterons pas les membres du parlement norvégien, qui ont décerné le Nobel de la paix à Barack Obama. C’est comme si nous attribuions le prix Goncourt à un jeune homme qui ferait de beaux et prometteurs discours sur le livre qu’il n’a pas encore écrit. Nous ne le donnerons pas non plus à Valéry Giscard d’Estaing pour son roman La Princesse et le Président. D’abord parce qu’il appartient à l’autre manège, "où vivent vieux les chevaux de reprise", l’Académie française. Ensuite, parce que cette histoire d’amour entre deux têtes couronnées manque de ce qui fait le charme et le prestige de la cour: le style. Les Norvégiens ont raté leur affaire: c’est à Giscard qu’il fallait donner le Nobel de la paix! Pour sa contribution à la concorde entre deux vieux pays séparés par la Manche et unis sur un oreiller imaginaire.
François Nourissier n’était pas dupe du succès. Si jeune, il connaissait déjà les pièges des prix littéraires. "On a vu des lauréats, professeurs, abandonner leurs classes ; modestes, prendre des maîtresses spectaculaires ; piétons, acheter des automobiles. Le jour est ensuite venu où, sans place et sans le sou, trompés, accidentés, ils ont dû revenir aux habitudes d’autrefois: les craies qui grincent, l’œil battu d’octobre, l’épouse, l’autobus."
Joliment dit, non? François Nourissier a écrit Les Chiens à fouetteren 1956. Il n’avait publié que deux romans: L’Eau grise et Les Orphelins d’Auteuil. Ce petit livre aujourd’hui réédité est un libelle, un pamphlet. Sous couvert de donner des conseils à un jeune provincial qui l’admire et qui ambitionne de conquérir la gloire dans les lettres, un écrivain dresse un tableau de la société littéraire, ses auteurs, ses éditeurs, ses critiques, ses maux, ses ridicules, ses prébendes, ses hochets. C’est drôle, c’est subtil, c’est féroce. Peu importe que des noms que l’après-guerre a tirés de l’ombre y soient retournés. Cinquante ans après, si les chefs, les épices et les ronds de serviette ont changé, la cuisine, dans son mouvement, dans ses effluves, est restée à peu près la même. Mais ce qui n’a vraiment pas bougé, c’est la virtuosité au piano de François Nourissier. Au premier sang, sur l’os, cuisson très courte, sauce piquante… Un régal de gourmet.
Raymond Dumay en était un. Il a écrit des livres bien documentés sur la table et sur le vin. Romancier, critique, il ne cachait pas son pessimisme sur l’avenir de la littérature. Dans un essai très combatif paru en 1950 (Mort de la littérature) – donc six ans avantLes Chiens à fouetter – lui criait au loup. Il prévoyait le déferlement et "la victoire de la littérature américaine", ainsi que les difficultés de plus en plus grandes à faire traduire nos livres. Il ne se trompait pas. Raymond Dumay était surtout inquiet pour les conditions de vie et de survie des écrivains. Son livre est un pamphlet social en leur faveur. Il demandait l’intervention des pouvoirs publics pour que les écrivains ne soient pas obligés d’avoir un second métier ou de prostituer leur plume. "La misère, affirmait-il, n’est pas une source de courage et d’énergie mais d’avilissement." Ce que dira d’une autre façon François Nourissier: "Ne perdez pas le goût d’écrire par goût de gagner de quoi écrire."
Les Chiens à fouetter, de François Nourissier, 190 p., plus Le Jeu de l’oie du petit homme de plume, dessiné par Maurice Henry, Le Dilettante, 25 euros.
Mort de la littérature, de Raymond Dumay, préface (excellente) d’Eric Chevillard, Stock, 175 p., 16,50 euros..
Mort de la littérature, de Raymond Dumay, préface (excellente) d’Eric Chevillard, Stock, 175 p., 16,50 euros..
oeuvres
- 1951 - L'Eau grise
- 1952 - La vie parfaite
- 1956 - Les Orphelins d'Auteuil
- 1956 - Les Chiens à fouetter
- 1957 - Le Corps de Diane
- 1958 - Bleu comme la nuit
- 1964 - Un petit bourgeois
- 1965 - Une histoire française (Grand prix du roman de l'Académie française)
- 1970 - Le Maître de maison
- 1970 - La Crève (prix Femina)
- 1973 - Allemande - Paris, 1943-1944.
Quelques adolescents traversent les années réputées les plus lumineuses de leur existence, qui se trouvent être aussi, pour leur pays, les plus sombres. A quoi ressembla cet apprentissage bousculé, cet âge de désir, de révolte et de feu vécu dans l'étouffoir de la fin de l'Occupation ? Le bachot ou. le maquis ? Les filles ou l'héroïsme ? Le renoncement à vivre ou la rage de vivre ?
Au vrai, pour Lucien, Noëlle, Luc, Bertrand, Colette, la question se posait à peine. Ils ont l'âge - seize, dix-sept ans - où l'on s'assoit entre deux chaises, où l'on passe " à côté de tout ". Ils savent bien qu'ils traversent une période d'exception, de haine. Ils sentent qu'il suffirait d'un jeu du hasard, d'un peu d'audace, pour que bascule leur destin. Mais, pour eux, la noirceur du temps n'est que grisaille. Les courages dont on fera bientôt, un peu abusivement, la seule et commode histoire de leur pays ces années-là, ils passent près d'eux sans les voir. Ou presque. Il y a d'un côté la bouffe, le marché noir, les combines, le ressassement malhabile des misères et des espérances. Et de l'autre, la vie. Leur vie. Leur vie envers et contre tout - c'est-à-dire les livres et les concerts, les balades à vélo dans la ville déserte, l'envie de cogner aux murs de la prison. Et les filles pour les garçons. Et les garçons pour les filles...
Pas de grands sentiments dans cette histoire, ni de drapés avantageux. Seulement les mots et les gestes quotidiens des gosses d'alors, leurs passions, leurs minuscules blessures. Celles dont on leur dit « Tu riras de ça dans vingt ans. » Et l'on se trompe, bien entendu. J'ai raconté tout. cela aujourd'hui parce que,' aujourd'hui, les enfants de 1944 sont devenus des quadragénaires assis su volant de l'opulence, des gagne-gros,. des réalistes dans lesquels je n'arrive pas à me reconnaître. Il est vrai que j'atteins l'âge où l'on déteste les miroirs.
François Nourissier - Source : 10-18 - 1975 - Lettre à mon chien
- 1978 - Le musée de l'homme
- 1981 - L'Empire des nuages
- 1987 - En avant, calme et droit
- 1985 - La Fête des pères
- 1990 - Bratislava
- 1992 - Le Gardien des Ruines
- 1996 - Roman volé
- 1997 - Le Bar de l'escadrille
- 2000 - À défaut de génie
- 2003 - Prince des berlingots
- 2005 - La Maison Mélancolie
- 2008 - Eau-de-feu